Changements (Catherine Venturi Pinton)

Habiter à Onex dans la future Cité Nouvelle, c’était quitter le quartier de Saint-Jean, avec ses maisons anciennes, ses rues animées, pour un immense terrain vague d’où sortaient des immeubles aux murs bétonnés. Tout manquait, tout était en construction, de l’école au magasin, en passant par l’église. On vivait au milieu des chantiers, des pelles mécaniques, avec le bruit incessant et la poussière envahissante. Quelques villas résistaient encore, ici et là. On voyait un champ où paissaient des moutons et les grues au loin, comme des phares inutiles.

L’école à peine achevée, les classes s’emplissaient d’enfants, la salle de réunion accueillait la messe du dimanche et le préau était la seule place de jeu.

Peu à peu, les HLM, HCM et autres habitations subventionnées gagnaient du terrain décimant les quelques villas restantes. De la campagne qui régnait autrefois en ces lieux, il ne restait plus que le bois et le golf. Les rues se goudronnaient, les trottoirs se posaient, la cité prenait forme avec ses habitants qui ne regagnaient leur logis que le soir. Cité dortoir, où la présence humaine ne se laissait deviner qu’aux noms sur les boîtes aux lettres, qu’aux stores levés aux fenêtres, tous identiques, uniformes.

Puis les aménagements entre les immeubles, pelouses et chemins, ont accueilli les mères et leurs enfants. Entre les murs des tours résonnaient les rires et les cris des bambins. Les familles trouvaient enfin un logement confortable et la vie au milieu de ce nouveau parc immobilier prenait forme.

L’existence devenait agréable, les liens se nouaient entre les habitants, les fêtes se créaient, les sociétés diverses se réunissaient.

Onex-Cité devenait une ville avec ses magasins, ses espaces verts, sa population bigarrées, ses rues animées. Tandis que de l’autre côté de la route de Chancy, Onex-Village avait gardé ses maisons de pierres, son manège, sa mairie et son parc.

On avait la ville et la campagne, les loisirs à portée de mains: la piscine, la pataugeoire, le terrain des Evaux, anciennement le golf, qui était devenu une vaste étendue de verdure où pouvaient se côtoyer sportifs et amoureux de la nature.

Une ville à visage humain où les enfants devenus adultes se trouvaient à leur tour un appartement pour y voir grandir leur progéniture. Un désir de ne pas quitter cette cité que l’on avait vue naître et s’étendre. On avait trouvé son lieu, la cité était familière, comme protectrice.

Mais un jour, on la quitte malgré tout. Par les hasards de la vie, on va se loger plus loin, dans la campagne. Pas d’immeubles, de tours, seulement le village et ses maisons serrées et cossues, les champs cultivés, les cris du coq et un jardin rien qu’à soi. On oublie alors très vite la cour résonnante de cris d’enfants, l’appartement et les bruits des voisins, l’ascenseur qui se referme, les sous-sols jamais trop sûrs. On a changé de monde.

Catherine Venturi Pinton

 

 

 

Ce contenu a été publié dans 2011-2012: Nos années, Non classé. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.