L’autre jour, à quatre heures, maman m’a dit que quand j’aurai fini mes devoirs, comme il faisait beau, je pourrai aller jouer dehors. Moi, j’aime bien jouer dehors alors j’ai vite copié mes mots, mais pas trop vite parce qu’autrement je dois les refaire parce que maman me dit toujours que vite et bien ça n’existe pas. Après j’ai fait les deux multiplications que le maître nous a données. Moi j’aime bien les multiplications parce que je connais mes tables par coeur, alors c’est facile.
J’ai rangé mes cahiers et j’ai crié à maman que je sortais. Elle m’a dit: « Oui, d’accord… » et encore d’autres choses que j’ai pas eu le temps d’entendre alors j’ai juste crié: « Oui, oui »
Dehors, il y avait François qui passait avec des tas de planches et des outils dans une brouette. François, il a de la chance parce que son papa est menuisier et il peut lui prendre des tas de trucs pour s’amuser. Moi, j’ai crié: « Salut! Qu’est-ce que tu fais avec… » « Chuuteee » qu’il m’a dit en fronçant les sourcils. « Tais-toi, viens! » Moi j’ai tout de suite senti que ce serait chouette alors j’ai marché à côté de la brouette. François s’est arrêté et m’a dit à l’oreille: « On va faire une cabane secrète dans le bois derrière les vignes. »
Une cabane dans les bois c’est toujours bien, mais une cabane secrète, ça c’est vraiment génial. On a rejoint les autres qui avaient déjà commencé à couper des branches pour faire les murs. Il y avait Pascal, Alain, Sylvain et Migouel. En vrai il s’appelle Miguel mais comme il est espagnol, il a un accent terrible et lui il prononce Migouel. Il n’arrive pas bien à prononcer les « v » et les les « b » alors des fois ça fait des drôles de mots. « Salou Vernard » qu’il a dit et les autres ont dit aussi « Vernard » sauf Pascal qui a crié sur François parce qu’il n’avait qu’à pas me dire ce qu’ils faisaient et que s’il le disait à tout le monde, c’était plus une cabane secrète. François a dit que je n’étais pas tout le monde, qu’il faisait ce qu’il voulait, que ce n’était pas Pascal le chef et que si les autres n’étaient pas contents, il repartait avec ses planches et ses outils. Les autres ont dit que non, que je pouvais rester mais que je devais jurer de garder le secret. « Tu dois jurer en levant la main » a dit Alain, « c’est mon papa qui me l’a dit ». C’est vrai, son papa il est avocat alors il sait comment on doit jurer. « Tu dois aussi cracher par terre » a dit Sylvain « Comme dans les films d’indiens ». Sylvain, lui, il regarde beaucoup la télé et il peut voir des tas de films parce que sa mère est divorcée et elle suit beaucoup de cours d’anglais le soir et elle le laisse tout seul en lui disant qu’il doit se coucher tôt. Alors les autres ont dit: « Ouais, tu dois aussi cracher ». Moi, j’ai fait ce qu’ils disaient mais j’ai pas bien réussi et j’ai un peu arrosé le sac de Pascal qui était encore plus fâché parce qu’il n’avait pas encore fait ses devoirs et que maintenant il devrait nettoyer son sac avant de l’ouvrir. Les autres ont rigolé et Miguel a rajouté: « C’est pas grabe, tou les fais jamais tes deboirs! »
François, qui avait un très gros marteau, a commencé à clouer des planches et tout le monde s’est mis au travail. On a fait un plancher en haut d’un arbre avec un trou pour rentrer et des murs avec des branches et un toit avec des feuilles pour camoufler notre cabane secrète. Quand tout le monde était assez fatigué, on a dit qu’elle était finie même s’il manquait un mur d’un côté et on a essayé de tous rentrer dans la cabane. C’est là que ça s’est un peu gâté parce qu’il n’y avait pas de place pour tout le monde et personne ne voulait rester dehors. François, Miguel et Pascal s’étaient installés et ne voulaient plus nous laisser monter. Alain a dit qu’il faudrait voter pour savoir qui aurait le droit mais les autres lui ont dit que ça ne servirait à rien, puisque chacun voterait pour lui-même. Moi j’ai dit qu’on pourrait s’asseoir un moment à tour de rôle mais Pascal s’est de nouveau fâché et m’a craché dessus depuis la cabane. « C’est comme pour mon sac! » qu’il a dit. François a voulu prendre ma défense et a poussé Pascal qui est tombé de l’arbre en emportant un mur et la moitié du plancher. Heureusement il ne s’est pas fait mal et il a commencé à crier qu’il allait se venger et casser tout le reste de cette maudite cabane qui n’était même plus secrète puisque tout le monde pouvait venir.
Alain s’est redressé au milieu des branches qui lui étaient tombées dessus et a levé un doigt vers le ciel. « Je dépose une plainte pénale! » qu’il a dit l’air très sérieux. Nous, pour pas montrer qu’on savait pas ce que ça voulait dire, on a simplement hoché de la tête. Alain a distribué les rôles de la plainte pénale. « François tu es le prévenu, tu dois t’asseoir là ». « Qui c’est qui l’a prévenou? » a dit Miguel, mais personne ne le savait. « Pascal, tu es la victime, alors tu es mort ». Pascal s’est couché sur les branches et a ouvert la bouche et les yeux sans bouger. « Les autres, vous êtes les jurés et moi je suis le juge destruction ». Après il y a eu un grand moment de silence parce que personne ne savait comment on jouait à ça et puis Sylvain a demandé quelle heure c’était et il a dit qu’il devait rentrer. Les autres l’ont suivi en criant qu’on ne devrait jamais dire l’endroit de la cabane et moi j’ai aidé François à ramasser les outils et la brouette. A la maison, maman m’a demandé où j’étais passé et elle m’a regardé en ouvrant la bouche quand je lui ai dit que c’était génial, qu’on avait joué à la plainte pénale.
La cabane secrète (Alvise Pinton)
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