Petit-Lancy, le 10 mars 2021
Chère Tante Annie,
Comment vas-tu ? J’espère que tu ne t’ennuies pas trop loin de ta maison et que tu as tout de même eu quelques visites cette semaine, malgré les restrictions dues à ce maudit covid.
Maman m’a dit qu’elle a trouvé quelques gadgets pour te faciliter la vie lorsque tu sortiras de la clinique. Je me demande si elle a trouvé une savonnette rugueuse munie de ventouses pour être sûre de ne plus glisser dans ta baignoire !
Ici, tout va bien. Nous avons préparé le jardin, le printemps peut arriver quand il veut.
Peut-être que tu pourras venir passer une semaine ou deux chez nous quand tu oseras à nouveau te risquer dans un escalier, ce serait sympa de t’avoir par ici. Penses-y et dis-moi si cela te tente.
Ce matin, j’ai été témoin d’un échange de propos très bizarre dans un grand magasin. Je venais de payer et rangeais mes provisions dans mon sac, lorsque le client suivant, en tendant son seul achat au caissier lui a dit : « Des chocolats, trois carottes et des chaussures. » Sans paraître étonné le moins du monde, le jeune employé a acquiescé en passant le pain sur le lecteur de code-barres, puis encaissé le billet de dix francs que l’homme lui a donné. Lui rendant la monnaie, il l’a salué et l’homme s’en est allé avec son pain. Étrange, non ? Je me suis demandée si le chocolat, les carottes et les chaussures étaient une sorte de code secret. Qu’en penses-tu ? Si tu t’ennuies, tu pourrais imaginer ce que le caissier fera de cette drôle d’information !
Dommage que je ne passe que rarement devant ce supermarché qui n’est pas dans notre quartier, sinon, j’observerais si cet employé est souvent là et s’il y a d’autres clients qui lui disent des paroles d’apparence incohérentes.
Sur ce, je te laisse pour aller au travail. Le mercredi, je vois parfois ma collègue pour préparer la suite de notre enseignement.
Je t’envoie un plein panier de bonnes ondes réparatrices et une bonne provision de bisouxxx pour tenir jusqu’à ma prochaine missive.
À bientôt
Véro
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Petit-Lancy, le 24 mars 2021
Ma chère tante détective,
Super ton idée ! Mais si c’est vraiment une liste de courses pour une personne qui doit se cacher et n’ose pas sortir, pourquoi le messager ne lui apporte-t-il pas lui-même les choses dont elle a besoin ?
De mon côté, je suis tout de même retournée deux fois dans ce magasin. La première, j’ai fait chou blanc. Le jeune employé n’était à aucune des 5 caisses.
Puis, hier, j’ai calculé d’y être à peu près à la même heure que la première fois. Il était à son poste. J’ai un peu traîné avant de prendre place dans la file d’attente, mais rien d’anormal ne s’est passé durant mes dix minutes d’observation. Dommage, nous ne saurons pas le fin mot de l’histoire.
Je suis contente que ma proposition de venir à la maison te plaise. J’espère que tu seras bientôt sur tes deux jambes !
Je reprends cette lettre que j’avais dû laisser en plan hier. Damien avait oublié les clefs d’une villa qu’il devait montrer au parqueteur en vue de travaux de rénovation, j’ai vite dû les lui apporter.
Du coup, en rentrant, je suis repassée devant notre fameux magasin. Je n’ai pas résisté à l’envie de voir si le mystérieux caissier était là. Et bien non seulement il occupait sa caisse habituelle, mais juste devant moi, le même gars que la première fois a payé deux yaourts en disant : « Des petit biscuits, trois oranges et le châle de laine bleue. »
N’y tenant plus, je me suis permise d’interroger le jeune homme sur le ton de la boutade :
« Bonjour, monsieur, que se passera-t-il si je vous dis : une brique de lait, des mouchoirs en papier et une paire de bas nylon ? »
Il a éclaté de rire et sans se démonter a répondu : « Ma grand-mère ne met jamais de lait dans son thé et à l’hôpital de l’Oie, ils ont des mouchoirs en suffisance. Mais elle appréciera sûrement les bas nylon, ça lui rappellera sa jeunesse. Voyez-vous, mon père et moi, on ne se parle plus, mais il va souvent voir sa mère et moi aussi. Alors il me transmet ce dont elle aurait besoin pour ma prochaine visite. »
Et tu ne devineras jamais la meilleure ?! La fameuse grand-mère s’est cassé le col du fémur en glissant sur la savonnette dans sa baignoire !
Je me réjouis de te voir ! J’aurai un tas de questions de jardinage à te poser et les enfants ont hâte de faire des parties de canasta avec toi. Appelle-nous quand tu te sentiras prête à venir ! Maintenant que Cloé a son permis, elle se fera une joie de passer te prendre.
Toute la famille t’embrasse bien fort, à bientôt
Véro