Il serait indécent de dire que je me traîne sur les rails. Je file, je glisse. Tel un fauve insoumis, je rugis à travers la campagne. J’ai fière allure quand j’arrive en sifflant dans une gare. Les passagers montent et je les emmène où l’inspiration me conduit. Je prévois mon itinéraire et rien ne peut m’en détourner.
Il m’arrive parfois d’être intrigué par un véhicule malencontreusement arrêté sur la voie. Je pourrais tenter une incartade mais l’idée disparaît en même temps que l’obstacle. Le choc est inévitable. Ainsi je suis craint par celui qui ose me défier.
Je ne veux pas me plonger dans une introspection et finir sur une voie de garage. Mon obstination est indicible et je me mettrai à toute vapeur pour conserver le privilège des voyages longues distances.
Ma vie deviendrait insipide si je devenais omnibus ou, pire, si j’étais relégué sous terre sans voir le bout du tunnel.
Ma vie est douce, à grande vitesse, d’une ville à l’autre. Jour et nuit, voyager sur la toile de mon destin.
Mais voilà que depuis ce matin, je reste à quai. « Grève des cheminots », il ne manquait plus que cela. Je sens mes boulons qui ne font qu’un tour. Je fulmine et mes circuits surchauffent.
Dans un élan de rage, j’actionne mes pistons, mes roues grincent sur les rails. Je prends rapidement de la vitesse sous les yeux effarés des grévistes.
Eh oui, messieurs, laissez-moi partir sur les chemins de liberté. Je ferai le tour de la Terre, j’irai jusqu’au bout de l’univers.
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Il n’est pas une semaine sans que je voyage en train, par plaisir, par passion. J’aime être assise près de la fenêtre pour regarder le paysage défiler, comme un long ruban. Le bruit des roues sur les interstices des rails, ce rythme, ce balancement, comme une berceuse. D’ailleurs, il m’arrive souvent de m’endormir, le front appuyé contre la vitre.
Un voyage en train n’est jamais banal. Il arrive toujours un événement incongru ou une rencontre surprenante.
Je me souviens aussi de ce drame effroyable. Il m’aura fallu plusieurs mois pour m’ôter de l’esprit ces horribles images.
C’était un mardi, j’étais assise en première classe. Le train filait à vive allure, comme à son habitude sur ce trajet.
Soudain, je distingue un véhicule sur la voie. Manifestement, il reste immobile. Sans réfléchir davantage, je tire la manette de l’alarme. Je me recroqueville sur mon siège, pressentant le freinage d’urgence. Mais le train continue sa course et c’est avec un fracas indescriptible que la locomotive percute la camionnette.
Le véhicule est projeté en l’air et se fracasse sur le bas côté. J’ai juste le temps d’apercevoir le conducteur ensanglanté, la tête hors du pare-brise. Le train, tel un fauve enragé, ne s’est pas arrêté.
Nous arrivons à l’heure prévue à notre destination.
Ce jour-là, c’est en titubant que je descends sur le quai. Mes yeux hagards fixent l’avant de la locomotive. Aucune trace de l’accident, à croire que j’ai rêvé.