Une gare sans guichet. Eloignée de la bourgade, elle doit son existence aux bûcherons pour le transport du bois par chemin de fer. Gare fantôme. Juste un abri recouvert d’un toit, avec un panneau indiquant les horaires du train. Un petit train rouge s’y arrête uniquement sur demande. Pour ceux qui voudraient faire une échappée à travers des sentiers forestiers dans une vallée bordée d’épicéas, au milieu de nulle part. Ou peut-être pour s’arrêter non loin de la gare, au Café de la Combe, très prisé des promeneurs du dimanche.
On y allait une ou deux fois l’an, excursion familiale à pied, à quelques kilomètres du village. On passait à travers la forêt par des sentiers caillouteux, des versants escarpés, des crêts, pour arriver au fond d’une combe, vers une ferme, à laquelle était accolé le restaurant. On y pénétrait par une porte en bois grinçante donnant sur un couloir. De là, on accédait à une salle de café au mobilier vétuste et bancal. On s’asseyait coude à coude, grands et petits, autour d’une table. Puis on buvait goulûment du sirop de grenadine en attendant, obéissants, le clou de l’excursion.
Le signal enfin donné, on se levait de table, le dessus des lèvres coloré de moustaches roses. La fratrie se mettait en rang vers le comptoir, devant la boîte à musique. Un grand meuble en bois laqué avec des colonnes ciselées et une vitrine où étaient figés des personnages. On écoutait le cliquetis d’une pièce de 20 centimes glissée dans l’automate puis on attendait le cœur battant. La boîte s’illuminait, le cylindre musical se déroulait avec un air de musette, des sons de clochettes et de tambourin. Six danseuses mécaniques en tutu blanc évoluaient en un ballet simpliste. On retenait son souffle. La musique s’arrêtait, la boîte s’éteignait. C’était toujours trop court. Parfois une seconde pièce était insérée et la féérie recommençait avec un nouvel air de musique. On en parlait tout au long du chemin de retour et parfois même encore les jours suivants.